Nous sommes aux alentours de 1848.
Sur les bancs de l’université de médecine de Strasbourg, un jeune interne en chirurgie semble captivé par sa lecture ; une lecture qui aura des effets étonnants sur pensée, et plus globalement sur sa future carrière.
Ce que découvre ce jeune homme d’à peine 25 ans, qui n’est autre qu’Ambroise – Auguste Liébault (1823 – 1904), c’est le magnétisme animal.
Il tient entre les mains le fameux rapport Husson, déposé devant l’Académie de médecine en 1831, 17 ans plus tôt.
Le professeur Husson, directeur de la commission officielle chargée de statuer sur le magnétisme animal a présenté ses conclusions les 21 et 28 juin 1831, après 5 ans d’études (1827-1831).
Liébault découvre entre autres, dans ce rapport qui a fait scandale et ne sera jamais publié par l’académie de médecine « la reconnaissance comme réels de la plupart des phénomènes observés dans le magnétisme ».
Il y est fait mention notamment de l’ablation d’une tumeur effectuée sous sommeil magnétique en 1829 par le chirurgien Jules Cloquet (1790-1883), et au cours de laquelle « la patiente n’a manifesté aucun signe de douleur ».
« Ablation d’un cancer du sein pendant un sommeil magnétique », Archives générales de Médecine, tome XX, mai 1829, p. 131.
Et la commission de déclarer : « considéré comme agent de phénomènes physiologiques ou comme moyen thérapeutique, le magnétisme devrait trouver sa place dans le cadre des connaissances médicales […] ; l’Académie devrait encourager les recherches sur le magnétisme comme une branche très curieuse de psychologie et d’histoire naturelle ».
Alfred Binet et Charles Féré, Le Magnétisme Animal, 1887, p. 27
Il s’agit du troisième rapport sur le magnétisme. Les deux premières commissions qui furent nommées en 1784 par Louis XVI, le 12 mars pour l’Académie royale des sciences et le 5 avril pour l’Académie royale de médecine, reléguèrent le magnétisme au rang du charlatanisme. Les membres de ces commissions en arrivèrent à ces conclusions par des contre-expériences, menées sans aucune forme de magnétisme. Ils obtinrent les mêmes effets avec des manœuvres placebo.
Ces trois rapports donnèrent naissance à trois courants « magnétiques » :
– Le psychofluidisme pour qui la volonté, animée par un fluide, est la puissance déterminante de l’action magnétique.
– le spiritualisme considère guérir les malades par la volonté et la prière , induisant ainssi une transe qui permettraient aux magnétisés d’être connectés aux anges et aux esprits guérisseurs.
– L’imaginationnisme constate que ni la volonté du magnétiseur, ni aucun fluide n’interviennent. Le magnétisme est un rituel qui vise à catalyser les forces de l’imagination au service de la guérison.
Liebault poursuit ses études de médecine et se passionne, en parallèle, pour les travaux de Charles Lafontaine (1803-1892) , Jules Dupotet de Sennevoy (1796-1881) et d’autres magnétiseurs imaginationnistes de leur état. Très vite il endort des jeunes gens en utilisant leurs théories et techniques.
Le 7 février 1850 est un grand jour pour Liébault, âgé alors de 27 ans ; il obtient son diplôme de médecine et s’établit à Pont-Saint-Vincent en Meurthe-et-Moselle.
Liébault a 36 ans, dix ans ont passé depuis son installation à Pont-Saint-Vincent, dix ans de pratique exclusive de la médecine traditionnelle. Ce soir, Liébault n’est pas d’humeur à l’introspection, il vient de recevoir au courrier du jour les articles qu’il attendait. Absorbé dans les publications de l’anatomiste et chirurgien Alfred Velpeau (1795 – 1867) et du chirurgien Eugène Azam (1822 -1899), qui introduisent les travaux du chirurgien Écossais James Braid ( 1795-1860) en France, il ne voit pas la nuit passer, pas plus que quelques unes à suivre. Une flamme vient de se rallumer en lui, elle ne s’éteindra plus.
Cette flamme, c’est Braid qui la ravive au travers de ses théories et applications cliniques.
Le fossé est immense entre le magnétisme animal de Franz-Anton Mesmer (1734-1815) et le monoïdéisme de James Braid (1795-1860). Ce dernier a emprunté au Baron Hénin de Cuvilliers (1755-1841) le terme « Hypnotisme » ; Cuvilliers, dans, Archives du magnétisme animal, tome huitième, HENIN EDITEUR (1823), N°22, p.33, l’évoque ainsi : « Il est donc incontestable que l’imagination ne produise des crises variées à l’infini. […] Elle opère des changements ou des transformations dans notre état physique et psychique, souvent accompagnés d’autres effets extraordinaires […], qui tiennent plus particulièrement à l’exaltation de l’imagination ».
Dans Hypnose ou Traité du Sommeil Nerveux, L’HARMATTAN (2005), p.165, Braid, qui souhaite remplacer hypnotisme par « Neurohypnologie », définit l’hypnose comme étant: “Un état particulier du système nerveux, déterminé par des manoeuvres artificielles ou encore, un état particulier du système nerveux, amené par la concentration fixe et abstraite de l’oeil mental, sur un objet, qui n’est pas par lui-même de nature excitante.”
Précurseur de Charcot, Braid pose sa théorie de l’hypnose comme état neurologique spécifique et réfute définitivement toute idée de fluide. Il donne naissance au « Braïdisme » en induisant l’hypnose par monoïdéisme ; cela consiste en « […] une diminution de la faculté d’attention amenée par la pensée exclusivement attachée à un objet unique, à une pensée unique ».Ibid.
L’Abbé de Faria (1746-1819) qui a donné son premier cours d’hypnotisme à Paris en 1813, nous rapporte dans : De la cause du sommeil lucide ou étude de la nature de l’Homme, HENRI JOUVE EDITEUR, (1819) p. XX, le modèle d’induction de Braid : « Prenez un objet brillant quelconque entre le pouce et l’index et le médium de la main gauche, tenez-le à distance de 25 à 45 cm des yeux dans une position telle, au-dessus du front, que le plus grand effort est nécessaire du côté des yeux et des paupières pour que le sujet regarde fixement l’objet. Il faut faire entendre au patient qu’il doit se tenir constamment attaché à l’idée de ce seul objet. On observera que les paupières se fermeront involontairement avec un mouvement vibratoire. »
Alors que Liébault se passionne pour les travaux de Braid, le 5 décembre 1859, Azam et Paul Broca (1824-1880) rendent compte, devant l’Académie des Sciences, d’une intervention chirurgicale pratiquée par Broca sous hypnose à l’hôpital Necker. En effet, Broca étudiait les hypnotiseurs de foire pour adapter leurs techniques à l’hôpital.
Liébault intègre le modèle de Braid à sa pratique et influencé par Faria, le fait évoluer. Huit années s’écoulent avant qu’il publie en 1866 « Du sommeil et des états analogues ». Il y met en perspective des notions théoriques et pratiques du magnétisme (immaginationisme) et de l’hypnotisme (Suggestionisme). L’accent est placé sur la suggestion, considérant que la fixation visuelle est inutile ; il affirme : « La suggestion est la clé du Braidisme”.
Braid l’avait remarqué dans sa pratique après avoir hypnotisé des aveugles ; il différenciait alors la fixation visuelle – « oeil visuel » – de la fixation mentale – « oeil mental» -, ce qui précisa son concept de « monoïdéisme ».
Liébault va pratiquer encore et encore l’hypnotisme. Sa réputation se propage en France.
Otto Wetterstrand (1845-1907), dans, L’Hypnotisme et ses applications à la médecine pratique, O. DOIN (1889), nous fait parvenir le modèle d’induction hypnotique d’Ambroise Auguste LIEBAULT : « Si nous acceptons l’explication donnée par Liébault, à savoir que le sommeil est le résultat d’une influence d’ordre psychique, la réponse est aisée. Nous disons à notre sujet que le sommeil va probablement guérir sa maladie, que ce sommeil sera tranquille et réparateur et que tout le monde pourrait l’obtenir dans les mêmes circonstances et sans suites désagréables. Nous le prions de s’asseoir et de concentrer son attention sur l’idée de dormir. Alors fixant nos yeux sur lui, nous lui suggérons une lourdeur des paupières et des membres et une impossibilité croissante de se mouvoir. Continuant à parler du sommeil et de ces symptômes qui doivent bientôt apparaître, nous disons enfin que ces symptômes sont réalisés. Nous disons alors que le sommeil même le plus léger est salutaire ; et si nous ne pouvons pas obtenir cet état chez le malade, nous lui faisons constater les résultats obtenus chez d’autres personnes qui se sont montrées plus faciles à influencer et de cette manière, nous atteignons souvent notre but. »
Liébault est surpris ; c’est jour de repos, il n’attend personne ! Il ne comprend pas tout de suite et très bien qui est cet homme devant sa porte, ni même ce que peut faire un professeur de médecine de l’université de Nancy ici. Ses idées se bousculent.
Hippolyte Bernheim (1840-1919) est là pour comprendre les procédés de ce médecin de campagne pour soigner ses malades. C’est en soignant une malade de Bernheim que ce dernier pensait incurable, que Liébault convainc le professeur des possibilités thérapeutiques de l’hypnose.
A son retour, Bernheim utilise l’hypnose de Liébault à l’hôpital de Nancy avec des résultats étonnants.
Très vite, il invite Liébault à le rejoindre à Nancy. Ils vont former avec le juriste Liégois ( 1833 -1908) et le médecin et psychologue Henri-Étienne Beaunis (1830- 1921) l’Ecole de Nancy dite aussi « Ecole de la suggestion ».
Nous sommes en 1882, l’âge d’or de l’hypnose en France commence ; il durera dix ans.
Bernheim livre bataille à l’école de Charcot. En effet, Il oppose à l’hypnose de la Salpêtrière celle de Liébault qu’il trouve efficace sans être spectaculaire.
Tandis que Charcot utilise l’hypnose pour mieux comprendre les paralysies hystériques et les différencier de paralysies dues à des lésions organiques identifiables par la méthode anatomo-clinique, Bernheim se concentre sur l’utilisation thérapeutique de l’hypnose.
« En publiant, en 1884, De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille , Bernheim popularise des contre-expériences qui ruinent les démonstrations de Charcot. » Jaqueline Carroy, 1991,Hypnose, suggestion et psychologie, PUF, p. 162.
Alors que pour Charcot, l’hypnose est un état pathologique propre aux hystériques et aux névropathes, pour Bernheim, l’hypnose est un état naturel qu’il ramène à un sommeil produit par la suggestion ; il souligne : « […] l’influence provoquée par une idée suggérée et acceptée par le cerveau », qu’il assimile en 1886 à une « idée conçue par l’opérateur, saisie par l’hypnotisé et acceptée par son cerveau » Enfin, il considère que l’on ne peut pas distinguer l’hypnose de la suggestibilité en affirmant : « la suggestion est née de l’ancien hypnotisme comme la chimie est née de l’alchimie ».
Dans Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, OCTAVE DOIN (1891) , p. 5, Bernheim nous relate sa méthode d’induction : « Regardez-moi et ne songez qu’à dormir. Vous allez sentir une lourdeur dans les paupières, une fatigue dans les yeux. Vos yeux clignotent, ils vont se mouiller, la vue devient confuse, les yeux se ferment . Vos paupières se ferment, vous ne pouvez plus les ouvrir. Vous éprouvez une lourdeur dans les bras, dans les jambes. Vous ne sentez plus rien. Vos mains restent immobiles. Vous ne voyez plus rien, le sommeil vient: dormez ! »
Pendant ce temps, Liébault pratique l’hypnose thérapeutique à Nancy ; voici ce que nous décrivent deux observateurs non moins célèbres, qui sont allé le voir.
Joseph Delboeuf, mathématicien, philosophe et psychologue ( 1831- 1896 ), dans Le Magnétisme Animal – À propos d’une visite à l’école de Nancy, FELIX ALCAN (1889): « C’est un long boyau de deux mètres et demi de largeur sur sept à huit mètres de long, divisé en deux parties inégales par une simple cloison. Ameublement des plus simples : des bancs de bois, des chaises en fer, un sofa minuscule, un fauteuil bourré, dans un coin une petite table avec un registre à notes, quelques enluminures, une carte de France, une modeste bibliothèque au fond, sur le rebord une bouteille à champagne avec cette étiquette : « Eau magnétisée » Après avoir, si c’est nécessaire, demandé au malade de quoi il souffre, sans se livrer à un examen quelconque, il le fait asseoir, lui pose la main sur le front, et sans même le regarder, lui dit : « Vous allez dormir » ; puis, pour ainsi dire immédiatement, il lui ferme les paupières en lui assurant qu’il dort. Il lui lève le bras, et lui dit : « Vous ne pouvez plus baisser le bras. » S’il le baisse, M. Liébeault n’a pas même l’air de le remarquer. Il lui fait ensuite tourner les bras, en lui assurant que le mouvement ne pourra pas être arrêté ; ce disant, il tourne lui-même ses propres bras avec vivacité, le malade tenant toujours les yeux fermés ; et il parle, il parle sans cesse d’une voix forte et vibrante. Puis les suggestions commencent : « Vous allez vous guérir ; les digestions seront bonnes ; votre sommeil sera bon ; vous ne tousserez plus ; la circulation sera libre et régulière ; vous allez sentir beaucoup de force dans vos membres ; vous allez marcher avec facilité ; etc. » Il varie à peine ce couplet. Il tire ainsi sur toutes les maladies à la fois ; c’est au client à reconnaître la sienne. »
Et le médecin hollandais Albert van Renterghem (1845-1939) dans Histoire de la découverte de l’inconscient,FAYARD (1970), p. 120 : « Liébault recevait chaque matin de 25 à 40 malades dans un vieux hangar aux murs blanchis à la chaux et au sol pavé de grandes pierres plates. Il traitait ses patients en public sans se soucier du bruit. Liébeault hypnotisait ses patients en leur disant de le fixer dans les yeux et en leur répétant qu’ils avaient de plus en plus sommeil. Dès que le patient était légèrement hypnotisé, Liébeault l’assurait que ses symptômes avaient disparu. La plupart des malades étaient de pauvres gens de la ville et des paysans des environs, qu’il traitait tous indifféremment avec la même méthode, quelle que fût leur maladie : arthrite, ulcères, ictère ou tuberculose pulmonaire ».
Bernheim quant à lui, continue ses recherches ; il abandonne progressivement l’hypnose, soutenant que ses effets peuvent tout aussi bien être obtenus à l’état de veille que par la suggestion, selon une méthode qu’il désigne du nom de « psychothérapie ».
En 1907, dans Le docteur Liébeault et la doctrine de la suggestion, il propose le concept « d’idéodynamisme »,selon lequel « toute idée suggérée tend à se faire acte». De la suggestion et de ses applications thérapeutiques, Bernheim H., 1886.
Liébault reprochera toujours à Bernheim d’avoir affirmé en 1892 à Londres: “Il n’y a pas d’hypnotisme, il n’y a que de la suggestion”.
La troisième école
Il existe dans l’âge d’or de l’hypnose une troisième école moins connue, « l’école de Richet ».
Dans Les médications psychologiques : études historiques, psychologiques et cliniques sur les méthodes de la psychothérapie, travaux du laboratoire de psychologie de la Salpêtrière, Paris, 1919, t.1, p. 182-183, Pierre Janet, directeur du laboratoire de psychologie de la salpêtrière, souligne:
« Il ne faut pas croire que pendant cette période toutes les études sur l’hypnotisme aient toujours été faites au point de vue strictement et immédiatement thérapeutique et que tous les observateurs aient été forcés de se rattacher aveuglément soit à l’Ecole de la Salpêtrière, soit à l’Ecole de Nancy. J’ai déjà signalé vers 1880 les débuts d’une troisième école que l’on pourrait appeler l’Ecole de Charles Richet si ses membres n’avaient pas eu toujours autant d’indépendance. Ces observateurs voulaient, à l’exemple de ce maître, étudier et comprendre en eux-mêmes la suggestion et l’hypnotisme et en découvrir les lois psychologiques. L’histoire de cette école appartient plus à l’histoire de la psychologie qu’à l’histoire de la psychothérapie, mais elle aura plus tard avec la médecine des relations étroites car l’application de l’hypnotisme au traitement des maladies ne pourra se faire plus tard avec quelque précision que grâce aux travaux des psychologues. On peut rattacher à cette école les noms de Myers, de Gurney, de Stanley Hall, de Moebius, d’Ochorowicz, de Forel, de Beaunis, de Binet, de Féré. C’est à ce groupe que je demande la permission de rattacher mes propres études publiées dans la Revue Philosophique depuis 1886 et résumées dans mes livres : « L’Automatisme psychologique », 1889, et « L’Etat mental des hystériques », 1892 ».
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